VINGT-SIX

 

Après ça, c’est allé vite. « Il y a la pensée et il y a l’action », avait dit une toute jeune Quell. Je m’étais rendu compte par la suite qu’elle s’était largement servie dans l’héritage des samouraïs de Harlan. « Ne confondez pas les deux. Quand le moment est venu d’agir, votre pensée doit déjà être achevée. Vous n’aurez plus le temps de le faire quand l’action commencera. »

Brasil est retourné voir les autres et a présenté la décision de Koi comme la sienne. Il y a eu quelques protestations de la part de certains surfeurs qui ne m’avaient toujours pas pardonné pour Sanction IV, mais ça n’a pas duré. Même Mari Ado a abandonné son hostilité comme une poupée cassée quand elle a compris que j’étais périphérique au vrai problème. Un par un, dans l’ombre colorée par le coucher de soleil et la lueur du salon commun, les hommes et les femmes de Vchira Beach ont consenti.

Apparemment, un fantôme éveillé serait suffisant.

 

Les composantes du raid se sont assemblées avec une vitesse et une aisance que les plus influençables auraient pu attribuer à la faveur des dieux ou aux agents du destin. Pour Koi, c’était simplement le courant des forces historiques, tout aussi certaines que les lois de la gravité ou de la thermodynamique. C’était une confirmation que l’heure était venue, que la marmite politique bouillonnait. Bien sûr qu’elle allait déborder, et bien sûr que tout allait se retrouver par terre. Forcément.

Quand je lui ai dit que j’attribuais ça à la chance, il a souri.

Quoi qu’il en soit, ça s’est fait.

 

Personnel :

Les Petits Scarabées Bleus. Ils n’existaient presque plus en tant qu’entité, mais les anciens de l’équipe étaient encore assez nombreux pour former un noyau à peu près conforme à la légende. Les nouveaux venus attirés au fil des ans par l’attraction gravitationnelle de cette légende ajoutaient un poids externe et s’octroyaient le prestige par association. À la longue, Brasil en était venu à faire confiance à certains. Il les avait vus surfer et il les avait vus se battre. Surtout, il les avait tous vus appliquer la maxime de Quell et reprendre leur vie normale quand la lutte armée était impossible. Ensemble, anciens et nouveaux, ils étaient ce que je pouvais réunir de plus proche d’un groupuscule quelliste sans remonter dans le temps.

 

Armes :

Le glisseur militaire garé dans la cour de Koi était emblématique d’une tendance prévalant sur toute la Bande. Les Scarabées n’étaient pas les seuls spécialistes du grand banditisme réfugiés sur Vchira Beach. Quel que soit le facteur qui menait Brasil et ses hommes vers les vagues, c’était une attraction générale qui se manifestait tout aussi facilement par l’enthousiasme pour des dizaines de crimes et infractions… Sourcetown était toujours pleine de brigands et de révolutionnaires à la retraite, et apparemment aucun n’avait eu envie d’abandonner ses jouets pour de bon. Il suffisait de secouer un peu et il en tombait du matériel comme des fioles et des gadgets du lit de Mitzi Harlan.

 

Plan :

Superflu, en ce qui concernait l’équipe de Brasil. Rila Crags était presque aussi connu que le vieux quartier général de la police sur Shimatsu Boulevard, celui que la brigadiste noire Iphigenia Deme avait démoli quand ils avaient essayé de l’interroger dans la cave, activant sans le vouloir ses enzymes explosifs. Le désir de faire la même chose avec Rila était palpable dans la maison. Il m’a fallu quelque temps pour convaincre les plus passionnés des nouveaux Scarabées qu’un assaut frontal sur Crags serait un suicide beaucoup moins productif que celui de Deme.

— On ne peut pas leur en vouloir, a dit Koi, soudain rappelé à son passé de brigadiste noir. Ça fait longtemps qu’ils attendent l’occasion de faire payer quelqu’un.

— Pas Daniel, ai-je fait remarquer. Ça fait à peine vingt ans qu’il est là.

Koi a haussé les épaules.

— La rage contre l’injustice est un feu de forêt – elle enjambe tous les fossés, même celui des générations.

J’ai arrêté de patauger et je l’ai regardé. On l’imaginait très bien se laisser emporter. Nous étions tous les deux des géants des mers sortis des légendes, à présent, dans l’eau jusqu’aux genoux parmi les îles et les récifs de l’archipel de Millsport à l’échelle 1/2 000. Sierra Tres avait rappelé quelques haiduci qui lui devaient des services et elle nous avait eu du temps dans un construct de carto haute résolution, propriété d’une société d’architectes marins dont les techniques de management commercial n’auraient pas résisté à un examen légal attentif. Ils n’étaient pas emballés par ce prêt, mais c’est ce qui arrive quand on s’acoquine avec les haiduci.

— Vous avez déjà vu un feu de forêt, Koi ?

Parce qu’ils ne sont pas franchement courants, sur un monde constitué d’eau à quatre-vingt-quinze pour cent.

— Non. C’était une métaphore. Mais j’ai vu ce qui se passe quand l’injustice finit par déclencher la vengeance. Et ça dure très longtemps.

— Oui, je sais.

J’ai regardé vers les eaux du détroit au sud. Le construct avait reproduit le maelström en miniature, gargouillant et tourbillonnant et tirant sur mes jambes sous la surface. Si la profondeur de l’eau avait été à l’échelle du reste de la simulation, j’en serais sans doute tombé.

— Et toi ? Tu as déjà vu un feu de forêt ? Sur une autre planète, peut-être ?

— Quelques-uns, oui. Sur Lokyo, j’ai même aidé à en allumer un. (J’ai regardé dans l’ouragan.) Pendant la révolte des pilotes. Beaucoup de leurs appareils sont tombés à Ekaterina Tract, et c’est de là qu’ils ont mené leur guérilla pendant des mois. Il fallait les déloger. J’étais Diplo, à l’époque.

— Je vois. (Sa voix n’a eu aucune réaction.) Et ça a marché ?

— Un bon moment, oui. On en a tué beaucoup. Mais comme vous l’avez dit, ce genre de résistance persiste pendant des générations.

— Oui. Et le feu ?

Je l’ai regardé avec un léger sourire.

— Il a fallu longtemps pour l’éteindre. Bon, Brasil a tort, pour cette passe. Il y a une ligne de vue directe vers les patrouilles de sécurité de New Kanagawa dès qu’on a contourné l’île, ici. Regardez ça. Et il y a du corail de l’autre côté. On ne peut pas passer par là, on va se faire tailler en pièces.

Il s’est approché et a regardé.

— S’ils nous attendent, oui.

— Ils attendent quelque chose. Ils me connaissent, ils savent que je vais venir la chercher. Putain, ils m’ont à leur disposition, ils n’ont qu’à me demander, lui demander, et il leur dira à quoi s’attendre, le petit enfoiré.

Je me sentais immensément trahi. Comme si on m’avait arraché quelque chose de la poitrine. Comme Sarah.

— Alors n’aurait-il pas l’idée de venir ici ? a demandé Koi. À Vchira Beach ?

— Je ne pense pas.

J’ai répété mon raisonnement à un coup d’avance mené la première fois en embarquant sur le Haiduci’s Daughter à Tekitomura, espérant qu’il serait aussi convaincant à voix haute.

— Il est trop jeune pour connaître mon passé avec les Scarabées, et ils ne peuvent lui donner aucune info officielle. Il connaît Vidaura, mais pour lui, elle est encore formatrice dans les Corps. Il n’aura aucune idée de ce qu’elle peut faire à présent, ou des rapports postservice que nous pouvons entretenir. Cette salope d’Aiura lui aura sans doute donné toutes les infos possibles sur moi, et peut-être sur Virginia. Mais ils n’ont pas grand-chose, et ça les desservira plus qu’autre chose. Nous sommes des Diplos, nous avons caché nos pistes et semé des leurres dans toutes les bases de données possibles.

— Très prévoyant.

J’ai cherché l’ironie dans son visage ridé, sans en trouver d’apparente. J’ai haussé les épaules.

— C’est le conditionnement. Nous sommes entraînés pour disparaître sans laisser de trace sur des mondes que nous connaissons à peine. Le faire là où on a grandi, c’est un jeu d’enfant. Tout ce que ces enfoirés ont pour travailler, ce sont des rumeurs de la pègre et une série de condamnations en stockage. Ça ne fait pas beaucoup, pour couvrir toute une planète sans capacité aérienne. Et la seule chose qu’il croit connaître sur moi, c’est que je vais éviter Newpest comme… comme la peste.

J’ai souri. En partie pour étouffer les regrets, l’envie de famille qui m’avaient poignardé à bord du Haiduci’s Daughter. Soupir compact.

— Alors où va-t-il te chercher ?

J’ai hoché la tête vers le modèle de Millsport devant nous, agacé par les îles et plates-formes si denses.

— Je pense que c’est là qu’il me cherche. C’est là que je venais chaque fois que je n’étais pas sur un autre monde. Le plus grand environnement urbain de la planète, l’endroit le plus simple pour disparaître si on le connaît bien, et il est juste en face de Rila. Si j’étais Diplo, c’est là que je serais. Caché, à bonne distance de frappe.

Mon point de vue aérien inhabituel m’a donné un moment le vertige tandis que je regardais les rues et les quais, mes souvenirs détachés au fil des siècles confondant l’ancien et le nouveau dans une familiarité floue.

Et il est là, quelque part.

Allez, tu ne peux pas être…

Il est là comme un anticorps, parfaitement adapté pour correspondre à l’intrus qu’il traque, à poser des questions discrètes dans les milieux louches, à soudoyer, menacer, influencer, briser, tout ce qu’ils nous ont si bien appris à tous les deux. Il respire bien à fond en le faisant, il vit pour son plaisir sombre, comme une version inversée de la philosophie de Jack Brasil.

Les paroles de Plex ont retenti à mes oreilles.

« Il a aussi beaucoup d’énergie. On dirait qu’il a hâte d’agir, de commencer. Il est confiant, il n’a peur de rien. Rien ne lui pose problème. Il rit de tout… »

J’ai repensé aux gens avec qui je m’étais associé l’année passée. Ceux que j’avais peut-être mis en danger.

Todor Murakami, s’il n’avait pas encore été déployé. Mon moi plus jeune le connaîtrait-il ? Murakami s’était engagé chez les Diplos presque en même temps que moi, mais nous ne nous étions presque pas fréquentés à cette époque, et on ne nous avait pas déployés ensemble avant Nkrumah et Innenin. Le petit Kovacs d’Aiura irait-il faire le lien ? Pourrait-il manipuler Murakami ? Et d’ailleurs, Aiura laisserait-elle sa petite merveille à double enveloppement approcher d’un Diplo en service ? Oserait-elle ?

Sans doute pas. Et Murakami, soutenu par tout le poids des Corps, pourrait se débrouiller.

Isa.

Oh, merde.

Une gamine de quinze ans sous des airs de femme du monde en titane pour cacher une éducation douce et privilégiée au sein de ce qui restait de la classe bourgeoise de Millsport. Intelligente à faire peur, et tout aussi fragile. Comme un fac-similé de la petite Mito, juste avant que je parte chez les Diplos. S’il trouvait Isa, alors…

Du calme, tu ne crains rien. Le seul endroit où elle peut te situer, c’est Tekitomura. S’ils ont Isa, ils n’ont rien.

Mais…

Il m’a fallu tout ce temps-là, tout ce battement de cœur, pour me rappeler que c’était un être humain. La prise de conscience de ce laps de temps où je ne m’étais pas soucié d’elle était une révulsion froide qui me remontait à la gorge.

Mais il va la briser en deux si elle le dérange. Il va la brûler comme le feu du ciel.

Vraiment ? Si elle te rappelle Mito, elle devrait la lui rappeler, à lui aussi. C’est la même sœur pour vous deux. Ça va sans doute l’arrêter.

Vraiment ?

J’ai replongé dans la bouillasse de mon époque opérationnelle chez les Diplos, et je n’en étais plus si sûr.

— Kovacs !

C’était une voix sortie du ciel. J’ai cligné des yeux et relevé le nez des rues de Millsport. Au-dessus de nous, Brasil était suspendu dans l’air du virtuel, en short de surf orange et dans les lambeaux d’un nuage bas. Avec son physique et ses longs cheveux blonds repoussés par les vents stratosphériques, on aurait dit un demi-dieu. J’ai levé la main pour le saluer.

— Jack, il faut que tu viennes voir cette approche par le nord. Ça ne va pas…

— Pas le temps pour l’instant, Tak. Il faut sortir. Maintenant.

J’ai senti ma poitrine se contracter.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— De la compagnie, a-t-il dit sans plus d’explication avant de disparaître.

 

Les bureaux de Dzurinda Tudjman Sklep, architectes marins et ingénieurs en dynamique des fluides nommés par l’État, étaient au nord de Sourcetown, où la Bande s’ouvrait en deux pour se transformer en complexes touristiques et en plages où le surf était sans risque. Ce n’était pas une partie de la ville où Brasil voulait venir en temps normal, ce n’était pas bon pour l’image, mais ses camarades et lui s’étaient fondus dans la horde des touristes. Il aurait fallu chercher des mouvements que seuls les surfeurs hyperentraînés peuvent faire pour les repérer, sous les tenues de plage de marque dont les couleurs juraient violemment et qui leur servaient de camouflage. Dans le cadre sobre d’une salle de conférence 0-vib, dix étages au-dessus de la foule, ils avaient l’air de champignons exotiques anticorpos.

— Un prêtre ? Un putain de prêtre ?

— J’en ai bien peur, m’a dit Sierra Tres. Tout seul, apparemment, ce qui doit être très inhabituel pour la Nouvelle Apocalypse.

— À moins qu’ils prennent leurs trucs aux brigades des Martyrs de Sharya, a dit Virginia Vidaura. Des assassins solitaires et sanctifiés contre des infidèles ciblés. Qu’est-ce que tu as encore fabriqué, Tak ?

— C’est personnel, ai-je murmuré.

— Comme toujours. (Virginia a grimacé et regardé tous les gens assemblés. Brasil a haussé les épaules, et Tres a montré aussi peu d’émotion que d’habitude. Mais Ado et Koi avaient tous les deux l’air très intéressés.) Tak, je pense que nous avons le droit de savoir ce qui se passe. Ça pourrait compromettre tout ce à quoi nous travaillons.

— Ça n’a rien à voir avec ce sur quoi on travaille, Virginia. C’est sans importance. Ces connards de barbus sont trop incompétents pour nous toucher. Ils sont tout en bas de la chaîne alimentaire.

— Stupides ou pas, a remarqué Koi, celui-ci a réussi à te suivre ici. Et il te cherche dans Kem Point.

— Bon, je vais aller le tuer.

Mari Ado a secoué la tête.

— Certainement pas tout seul.

— Eh, c’est mon problème, OK, Mari ?

— Tak, du calme.

— Putain, mais je suis calme !

Mon cri est tombé dans le capitonnage 0-vib comme de la douleur noyée dans une IV d’endorphine. Personne n’a rien dit. Mari Ado a détourné les yeux vers la fenêtre. Sierra Tres a soulevé un sourcil. Brasil examinait le sol avec une attention toute particulière. J’ai grimacé et réessayé. Calmement.

— Les mecs, c’est mon problème à moi, et j’aimerais le régler tout seul.

— Non, a répondu Koi. Tu n’as pas le temps. Nous avons déjà perdu deux jours précieux en préparatifs. Nous ne pouvons plus reculer. Tes vendettas privées devront attendre.

— Ça ne va pas prendre…

— J’ai dit « non ». D’ici demain, ton ami barbu te cherchera de toute façon au mauvais endroit. (L’ancien commando des Brigades Noires s’est détourné, me mettant hors jeu à la façon dont Virginia l’avait parfois fait quand nous rations les sessions d’entraînement diplo.) Sierra, il va falloir accélérer le ratio temps réel dans le construct. Même s’il ne doit pas monter bien haut.

Tres a haussé les épaules.

— Le matos d’architecte, tu sais ce que c’est. Le temps n’est pas un problème, en général. Ils ont peut-être du quarante ou cinquante, sur un système pareil. À fond.

— Ça ira. (Koi était lancé et cela se voyait. J’ai imaginé la Décolonisation, des rencontres clandestines dans des arrière-salles cachées. Une lumière rase sur des plans griffonnés.) Ça ira. Mais il va falloir faire ça à deux niveaux. Le construct de carto et une suite d’hôtel virtuel avec des installations de conférence. Il va falloir pouvoir passer de l’un à l’autre facilement, à volonté. Une sorte de geste déclencheur de base, comme cligner deux fois des yeux. Je ne veux pas revenir au monde réel pendant qu’on planifie.

Tres a opiné de la tête, déjà en route.

— Je vais dire à Tudjman de s’y mettre.

Elle est sortie de la chambre 0-vib. La porte s’est refermée derrière elle. Koi s’est tourné vers nous.

— Je suggère que nous prenions quelques minutes pour nous vider la tête, parce qu’une fois lancés, nous allons vivre en virtuel jusqu’à ce que ce soit fini. Avec un peu de chance, nous aurons fini avant ce soir, temps réel. Et, Kovacs, ce n’est qu’un avis, mais je trouve que tu nous dois une certaine explication.

Je l’ai regardé dans les yeux, une vague soudaine d’antipathie pour sa théorie à la con de l’histoire en marche me donnant exactement le regard glacé que je voulais.

— Tu as tout à fait raison, Soseki. Ce n’est qu’un avis. Le tien. Alors garde-le pour toi.

Virginia Vidaura s’est éclairci la voix.

— Tak, je pense qu’on devrait aller prendre un café, cinq minutes.

— Oui, je crois aussi.

J’ai terminé de toiser Koi et je suis parti. J’ai vu Vidaura et Brasil échanger un regard, puis elle m’a suivi. Aucun de nous n’a dit quoi que ce soit dans l’ascenseur transparent qui nous a menés à un espace central très éclairé au rez-de-chaussée. À mi-chemin, dans un grand bureau de verre, j’ai vu Tudjman qui hurlait en silence sur une Sierra Tres impassible. Apparemment, la demande d’un ratio virtuel plus élevé passait plutôt mal.

L’ascenseur nous a lâchés dans un atrium ouvert d’où nous entendions la rue. J’ai traversé le hall, me suis engagé dans la foule des touristes sur la promenade, puis ai appelé un autotaxi d’un geste. Virginia Vidaura m’a pris l’autre bras quand le taxi se posait.

— Où tu vas comme ça ?

— Tu sais très bien où je vais.

— Non. (Elle m’a serré un peu plus fort.) Non, pas question. Koi a raison, on n’a pas le temps.

— Ce sera fini avant qu’on s’en inquiète.

J’ai essayé d’avancer vers la portière du taxi, mais à part en l’attaquant, je ne pourrais pas me dégager. Et même ça, contre Vidaura, c’était risqué. Je l’ai suivie, exaspéré.

— Virginia, lâche-moi.

— Qu’est-ce qui se passe si ça dérape, Tak ? Si ce prêtre…

— Ça ne va pas déraper. Je tue ces enfoirés depuis plus d’un an et…

Je me suis arrêté. L’enveloppe de surfeuse de Vidaura était presque aussi grande que la mienne et nos yeux n’étaient qu’à quelques centimètres l’un de l’autre. Je sentais son souffle sur ma bouche, et la tension de son corps. Ses doigts se sont crispés sur mon bras.

— Voilà, a-t-elle dit. Tu te calmes. Parle-moi, Tak. Tu te calmes, et tu me parles de ces conneries.

 

— De quoi tu veux parler ?

Elle me sourit par-dessus la table en bois miroir. Ce n’est pas le visage dont je me souvenais. Déjà, elle est plus jeune d’un bon paquet d’années. Mais dans cette nouvelle enveloppe, on retrouve des échos du corps mort sous mes yeux dans un tir de kalachnikov, une vie ou deux auparavant. La même longueur de membres, la même rivière de cheveux noirs rabattus sur le côté. Quelque chose dans la façon dont elle incline la tête pour que les cheveux s’écartent de son œil droit. La façon dont elle fume. La façon dont elle fume encore.

Sarah Sachilowska. Sortie du stockage, vivant sa vie.

— Je suis heureuse. (Elle agite la main pour écarter la fumée, soudain agacée. C’est une petite étincelle de la femme que j’ai connue.) Tu ne le serais pas, toi ? Sentence commuée pour un équivalent cash. Et l’argent continue à arriver, il y aura du travail de biocodage pour au moins dix ans. Jusqu’à ce que l’océan se calme, on a de tout nouveaux niveaux d’échanges à domestiquer. Et je ne te parle qu’au niveau local. Il faut encore que quelqu’un modélise l’impact là où le courant Mikuni rencontre l’eau chaude venue de Kossuth, puis y fasse quelque chose. On va lancer les appels d’offres dès que le gouvernement nous aura donné des fonds. D’après Josef, au rythme où on va, j’aurai payé toute ma sentence dans dix ans.

— Josef ?

— Oh oui, j’aurais dû t’en parler. (Le sourire revient, plus large cette fois. Plus ouvert.) Il est vraiment super. Tu devrais le rencontrer. C’est lui qui gère le projet là-haut, c’est une des raisons pour lesquelles j’ai eu la première vague. Il faisait des auditions virtuelles, et c’était mon agent de liaison à ma sortie, et, enfin, tu sais.

Elle baisse les yeux, toujours avec le sourire.

— Tu rougis, Sarah.

— Mais non.

— Mais si. (Je sais que je devrais me sentir heureux pour elle, mais ce n’est pas possible. Trop de souvenirs de ses longs flancs pâles contre moi dans des lits d’hôtel et des appartements de planque louches.) Et il a l’air sérieux, ce Josef ? Sur la durée ?

Elle lève les yeux rapidement et me cloue du regard.

— On est tous les deux sérieux, Tak. Il me rend heureuse. Plus heureuse que je l’ai jamais été, je crois. Alors pourquoi tu es venue me voir, pauvre conne ?

— C’est super.

— Et toi ? me demande-t-elle avec sollicitude. Tu es heureux ?

Je lève un sourcil pour gagner du temps. Je lui lance mon regard en biais, celui qui la faisait rire. Avant. Cette fois, ça ne me vaut qu’un regard maternel, soucieux.

— Eh bien, heureux… (Je fais une autre grimace.) Ça n’a jamais été un truc pour lequel j’ai été très doué. Enfin, oui, je suis sorti en avance comme toi. Amnistie NU complète.

— Oui, j’ai appris ça. Et tu es allé sur Terre, hein ?

— Un moment.

— Et maintenant ?

J’ai un geste vague.

— Oh, je travaille. Rien d’aussi prestigieux que vous, là-haut dans le Nord, mais ça paie l’enveloppe.

— C’est légal ?

— Tu plaisantes ?

Son visage se défait.

— Tu sais que si c’est vrai, Tak, on ne va pas pouvoir se voir. Ça fait partie de l’accord de réenveloppement. Je suis encore en liberté conditionnelle, je ne peux pas fréquenter des…

Elle secoue la tête.

— Des criminels ?

— Ne te moque pas de moi, Tak.

Je soupire.

— Je ne me moque pas, Sarah. Je suis très content de la façon dont les choses tournent pour toi. C’est juste, je ne sais pas… Je t’imagine en train d’écrire du biocode au lieu de le voler.

Elle sourit de nouveau, son expression par défaut pendant toute cette conversation, mais cette fois elle est bordée de douleur.

— On peut toujours changer. Tu devrais essayer.

Une pause inconfortable.

— Je vais y penser.

Une autre.

— Écoute, je devrais vraiment rentrer. Josef n’a sans doute pas…

— Non, je t’en prie. (J’indique nos verres vides seuls et séparés sur le bois miroir rayé. À une époque, nous ne serions jamais partis d’un bar comme celui-ci sans avoir couvert la table de verres et de pipes vides.) Tu n’as aucun amour-propre ? Reste pour un dernier verre.

Et elle reste, mais il n’y a que cet inconfort entre nous. Et quand elle a fini son deuxième verre, elle se lève, me dépose un baiser sur chaque joue, et me laisse planté là.

Et je ne la revois jamais.

— Sachilowska ? (Virginia Vidaura fronce des sourcils pour retrouver ce souvenir.) Grande, non ? Une coiffure débile, comme ça, sur l’œil ? Ouais. Je crois que tu l’as amenée à une fête quand Yaros et moi étions encore à Ukai Street.

— Ouais, c’est ça.

— Donc elle est partie dans le Nord, et toi, tu es revenu dans les Petits Scarabées Bleus pour la faire chier ?

Comme le soleil et les ferrures bon marché sur la terrasse autour de nous, la question brillait trop. J’ai détourné le regard vers la mer. Apparemment, je n’avais pas les mêmes droits que Brasil.

— Ce n’était pas ça, Virginia. J’étais déjà revenu avec vous quand je l’ai vue. Je ne savais même pas qu’elle était sortie. Aux dernières nouvelles, à mon retour de la Terre, elle avait une sentence pleine à tirer. Après tout, elle avait tué un flic.

— Toi aussi.

— Oui, mais moi j’avais eu l’argent de la Terre et l’influence des NU.

— OK. (Vidaura secoue sa canette de café et fronce encore les sourcils. Il n’était pas très bon.) Donc, vous êtes sortis de stockage à des moments différents, et vous vous êtes perdus dans l’intervalle. C’est triste, mais ça arrive tout le temps.

Derrière le bruit des vagues, j’ai encore entendu Japaridze.

« Il y a une marée à trois lunes qui t’attend quelque part, et si tu la laisses faire, elle va t’arracher tout ce qui a pu compter dans ta vie. »

— Oui, c’est ça. Ça arrive tout le temps. (Je l’ai de nouveau regardée dans la fraîcheur protégée de la table ombragée.) Mais je ne l’ai pas perdue dans l’intervalle, Virginia. Je l’ai laissé partir. Je l’ai laissé partir avec ce connard, ce Josef, et je suis parti.

La compréhension a illuminé son visage.

— Oh, d’accord. C’est pour ça que tu t’es intéressé à Latimer et à Sanction IV, tout d’un coup. Je me suis demandé à l’époque pourquoi tu avais changé d’avis si rapidement.

— Il n’y avait pas que ça, ai-je menti.

— D’accord. (Son visage me disait qu’elle s’en fichait, et qu’elle ne me croyait pas.) Alors, qu’est-ce qui est arrivé à Sachilowska entre-temps pour que tu te mettes à tuer des prêtres ?

— Le Nord de l’archipel de Millsport. Tu ne devines pas ?

— Ils se sont convertis ?

— Lui s’est converti. Elle, elle a juste été entraînée.

— Vraiment ? Elle était victime à ce point-là ?

— Virginia, elle était sous contrat, bordel ! (Je me suis arrêté. Les écrans des tables bloquent une partie de la chaleur et du bruit, mais la perméabilité est variable. Des têtes se sont tournées. J’ai cherché dans ma tour de fureur un peu du détachement diplo que je devais posséder. Ma voix est sortie avec une platitude abrupte.) Les gouvernements changent, comme les gens. Ils ont retiré les fonds des projets du Nord quelques années après son départ. Nouvelle éthique antiingénierie pour justifier les économies. Ne vous mêlez pas de l’équilibre naturel de biosystèmes planétaires. Laissez le soulèvement de Mikuni trouver son propre équilibre, c’est une meilleure solution, plus sage. Et moins chère, bien sûr. Elle avait encore sept ans à payer, en tout cas au rythme de ce qu’elle gagnait en tant que consultante en biocode. La plupart des villages n’avaient que le projet Mikuni pour les sortir de la misère. Imagine ce que ça a donné quand ils ont tous dû retourner gagner leur pitance en pêchant sur la côte.

— Elle aurait pu partir.

— Ils avaient un gosse, d’accord ? (Pause. Respire. Regarde la mer. Du calme.) Ils avaient un gosse, une fille, de quelques années. Tout d’un coup, ils n’avaient plus un rond. Et ils étaient tous les deux originaires de la région, c’est une des raisons pour lesquelles elle est apparue dans les premiers candidats possibles. Je ne sais pas, ils ont dû se dire qu’ils trouveraient un moyen. D’après ce que j’en sais, les fonds pour Mikuni sont reparus brièvement deux ou trois fois avant de disparaître définitivement. Ils espéraient peut-être un autre changement.

Vidaura a opiné du chef.

— Et ils ont eu raison. La Nouvelle Apocalypse est arrivée.

— Ouais. Dynamique de pauvreté classique, les gens se raccrochent à n’importe quoi. Et s’ils ont le choix entre la religion et la révolution, le gouvernement est plus qu’heureux de laisser les prêtres s’installer. Tous ces villages avaient la foi de base, de toute façon. Une vie austère, un ordre social rigide, très patriarcal. On se serait cru sur Sharya. Il a suffi que quelques militants de la NouvAp arrivent au moment où l’économie se cassait la gueule.

— Et qu’est-ce qui s’est passé ? Elle a contrarié un mâle vénérable ?

— Non. Ce n’était pas elle, c’était sa fille. Elle a eu un accident de pêche. Je ne connais pas les détails. Elle est morte, pile récupérable. (La rage refaisait surface, me gelant le cerveau par giclée.) À part que bien sûr, ce n’est pas permis.

Ironie finale. Les Martiens, autrefois vermine des vieilles fois terriennes quand les connaissances de leur civilisation interstellaire et millénaire ont commencé à briser notre idée de l’ordre des choses. Et maintenant usurpés par la Nouvelle Apocalypse pour en faire des anges. Les élus de Dieu, des créations ailées, et aucun signe de quoi que ce soit ressemblant à une pile corticale n’a jamais été retrouvé dans les corps momifiés qu’ils nous ont laissés. Pour un esprit pris dans la psychose de la foi, le corollaire était inévitable. Le réenveloppement était un péché né dans le cœur noir de la science humaine, une hérésie sur le chemin de l’au-delà et la présence de Dieu. Une abomination.

J’ai regardé la mer. Les paroles tombaient de mes lèvres comme des cendres.

— Elle a voulu s’enfuir. Seule. Josef était déjà niqué dans la tête par la foi, il refusait de l’aider. Elle a pris le corps de sa fille, seule, et a volé un glisseur. Elle est partie vers l’est, en cherchant un canal pour aller au sud, vers Millsport. Ils l’ont pourchassée et l’ont ramenée. Avec l’aide de Josef. Ils l’ont attachée à une chaise de châtiment que les prêtres avaient construite au cœur du village. Là, ils l’ont forcée à regarder pendant qu’ils prenaient la pile sur le cadavre de sa fille et qu’ils l’emmenaient. Après, ils lui ont fait la même chose, à elle. Pendant qu’elle était consciente. Pour qu’elle puisse apprécier son propre salut.

J’ai dégluti. Ça m’a fait mal. Autour de nous, les touristes allaient et venaient comme les imbéciles emplumés qu’ils étaient.

— Après ça, tout le village a fêté la libération de leur âme. La doctrine de la Nouvelle Apocalypse dit qu’une pile corticale doit être fondue pour libérer les démons qu’elle contient. Mais ils ont leurs propres superstitions, dans le Nord. Deux hommes emportent les piles en mer sur une embarcation couverte d’un plastique antisonar. Ils partent sur cinquante kilomètres, et quelque part en chemin, le prêtre officiant jette les piles par-dessus bord. Il n’a aucune idée du cap pris par le navire. Et le pilote n’a pas le droit de savoir où les piles ont été jetées.

— On dirait un système facile à corrompre.

— Peut-être. Mais pas cette fois. Je les ai torturés tous les deux, à mort. Ils n’ont rien pu me dire. J’aurais plus de chances de retrouver la pile de Sarah si on l’avait enterrée sous le récif d’Hirata.

J’ai senti son regard sur moi, et j’ai fini par lui faire face.

— Donc, tu y es allé.

— Il y a deux ans. Je suis allé la voir en rentrant de Latimer. À la place, j’ai trouvé Josef, qui pleurnichait sur sa tombe. Je lui ai arraché toute l’histoire. (Mon visage a frémi à ce souvenir.) À la longue. Il m’a donné les noms du pilote et de l’officiant, que j’ai retrouvés ensuite. Comme je t’ai dit, ils n’ont rien pu me dire d’utile.

— Et après ?

— Après, je suis retourné au village et j’ai tué les autres.

Elle a secoué la tête, déstabilisée.

— Les autres quoi ?

— Les autres villageois. Tous ceux qui étaient adultes le jour où elle est morte. J’ai trouvé un CyberRat à Millsport qui m’a fourni les infos sur la population. Les noms et les visages. Tous ceux qui auraient pu lever le petit doigt pour l’aider mais ne l’ont pas fait. J’ai pris la liste, j’y suis allé et je les ai tués. (J’ai regardé mes mains.) Et quelques autres, qui ont essayé de m’arrêter.

Elle me regardait comme si elle ne me connaissait pas. J’ai eu un geste d’irritation.

— Oh, je t’en prie, Virginia. On a tous les deux fait pire, sur plus de mondes que je pourrais en citer de tête.

— Tu as une mémoire de Diplo, a-t-elle dit, atone.

— C’est une façon de parler. Sur dix-sept planètes et cinq lunes. Et la station de l’Essaim Nevsky. Et…

— Tu as pris leur pile ?

— Celles de Josef et des prêtres, oui.

— Tu les as détruites ?

— Pourquoi je ferais une chose pareille ? C’est exactement ce qu’ils veulent. L’oubli après la mort. Sans retour. (J’ai hésité. Mais ça semblait futile de s’arrêter à présent. Et si je ne pouvais pas faire confiance à Vidaura, il ne me restait personne. Je me suis éclairci la voix et j’ai pointé le pouce vers le nord.) Un peu plus haut, sur la Prairie d’Algues, j’ai un ami haiduci. Entre autres affaires, il élève des panthères des marais pour des combats clandestins. Parfois, quand elles sont bonnes, il leur pose une pile corticale. Comme ça, il peut télécharger les vainqueurs blessés dans des enveloppes neuves et influencer les paris.

— Je crois que j’ai compris…

— Oui. Pour un certain prix, il prend mes piles et il charge leurs propriétaires dans ses panthères les plus fatiguées. On leur donne le temps de se faire à l’idée, puis on les met dans les petits combats, pour voir ce qui se passe. Il se fait pas mal de pognon dans certains combats, où tout le monde sait que ce sont des humains chargés dans des panthères. Apparemment, il y a une sorte de sous-culture perverse qui tourne autour de ça. (J’ai renversé ma canette de café et examiné le dépôt au fond.) J’imagine qu’ils doivent être fous, à présent. Ça ne doit pas être très rigolo d’être prisonnier dans l’esprit de quelque chose d’aussi différent, à la base. Mais en plus quand on se bat bec et ongles pour sa vie dans une arène… Je doute que leur conscience humaine y survive longtemps.

Vidaura a regardé ses genoux.

— C’est ce que tu te dis ?

— Non, ce n’est qu’une théorie. Je me trompe peut-être. Si ça se trouve, il leur reste un certain degré de conscience. Ou beaucoup. Peut-être dans leurs moments les plus lucides se croient-ils arrivés en enfer. De toute façon, ça me va.

— Comment tu finances ça ?

J’ai trouvé un rictus plein de dents et l’ai enfilé.

— Eh bien, contrairement à ce que tout le monde croit, certaines parties de ce qui s’est passé sur Sanction IV ont été très profitables. Je ne manque pas de fonds. Elle a relevé la tête, le visage crispé et proche de la colère.

— Tu t’es fait de l’argent sur Sanction IV ?

— Rassure-toi, je l’ai bien gagné.

Ses traits se sont radoucis quand elle a ravalé sa colère. Mais sa voix restait dure.

— Et ces fonds seront suffisants ?

— Suffisants pour quoi ?

— Eh bien, pour finir ta vendetta. Tu chasses les prêtres du village, mais…

— Non, ça, c’était l’année dernière. Ça ne m’a pas pris longtemps, ils n’étaient pas très nombreux. En ce moment, je pourchasse ceux qui servaient la Maîtrise ecclésiastique quand elle a été tuée. Ceux qui ont écrit les règles qui l’ont tuée. Ça me prend plus de temps, ils sont nombreux, et plus anciens. Mieux protégés.

— Mais tu ne comptes pas t’arrêter là ?

J’ai secoué la tête.

— Je ne compte pas m’arrêter du tout, Virginia. Ils ne peuvent pas me la rendre, n’est-ce pas ? Alors pourquoi je m’arrêterais ?

Furies Déchaînées
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